4.
Par égard pour l’unique client, qui finit de manger à une table d’angle, la patronne et la serveuse de la Trattoria Due Ponti ont réglé le son très bas. Le téléviseur, du reste, est dans la grande salle, où la lumière est éteinte et où les tables, en cette fin de saison, ne sont même plus dressées. Du film en cours ne parviennent dans la petite salle que des vrombissements étouffés de moteurs et des crépitements intermittents, sans doute des rafales de mitraillette.
Le seul autre bruit est celui du journal que Mr. Silvera, après avoir posé sa serviette, a déplié devant lui et est maintenant en train de feuilleter.
Mais peut-être la lumière est-elle insuffisante pour lire. Ou bien le journal, datant d’il y a deux semaines, ne contient-il rien d’intéressant. Mr. Silvera le replie et le remet dans la poche de son imperméable, qu’il a gardé sur lui parce que le chauffage, de son côté, n’a pas l’air de fonctionner tellement. Il sort ensuite d’une autre poche un porte-monnaie usé, à plusieurs compartiments, mais ne se décide pas à demander l’addition. De vagues accents symphoniques, après un long crescendo de coups de feu et d’explosions, font en effet penser que le dénouement est proche. Il attendra, pour appeler, que le film soit terminé.
Dans le silence maintenant plus marqué est devenu audible le tic-tac d’une vieille pendule à balancier, incongrûment suspendue au-dessus du buffet en plastique.
Mr. Silvera ouvre le porte-monnaie pour en inspecter le contenu, remettre en ordre les billets et les pièces de différentes nationalités. Au cours de cette opération, il examine longuement, en la retournant entre ses doigts, une pièce apparemment en argent, mais noircie et difficile à déchiffrer, qu’il a retrouvée dans un des compartiments.
Dans la salle contiguë, le dénouement se fait attendre. Mr. Silvera relève les yeux pour observer le va-et-vient du balancier, suivre l’aiguille qui, sur le cadran métallique émaillé de blanc, avance minute après minute entre les chiffres noirs.